Constituer des réserves de liquidation juste avant liquidation, abus fiscal ?
Dans le cadre de la gestion d’une société, la distribution du bénéfice d’une société à son actionnaire implique un précompter mobilier de 30 % du montant distribué. Cependant, l’opération comptable consistant à affecter ce même bénéfice à des « réserves de liquidation » au sein de la société (plutôt que de les octroyer à l’actionnaire), permet de bénéficier d’un certain avantage fiscal à cet égard, faisant passer le prélèvement total à 13,64 %, voire à 9,09 % selon les cas.

Ainsi, lorsqu’une société réalise des bénéfices, son dirigeant se retrouve face à deux principaux choix : soit se les distribuer, soit les maintenir dans la société (en réserve) et remettre leur sort à plus tard.
C’est dans ce contexte que le législateur a mis en place un régime fiscal avantageux, si le dirigeant choisit la voie de la mise en réserve de liquidation.
Ainsi, si les bénéfices sont affectés à des réserves particulières, appelées « réserves de liquidation », ils feront d’abord l’objet d’un premier prélèvement de l’ordre de 10 %. Par la suite, et si les montants sont maintenus dans ces réserves pendant au moins 5 ans, leur distribution subira un prélèvement supplémentaire de 5 %, portant le prélèvement total à environ 13,64 % du montant initial. Plus encore, en cas de distribution de ces réserves à l’occasion de la liquidation de la société au sein de laquelle elles ont été constituées, aucun autre prélèvement ne sera effectué, portant le montant total du prélèvement à 9,09 %. L’avantage final est donc non-négligeable.
Cependant, une controverse existait quant à savoir si la constitution de réserves de liquidation juste avant (voire pendant) la liquidation d’une société, et donc les distribuer sans plus de prélèvement que celui de 9,09 %, est constitutif d’un abus fiscal ou non. Cette pratique joue autour du délai, généralement très court, endéans lequel la société procède à sa liquidation après avoir affecté ses bénéfices à des réserves de liquidation. Certains allaient encore plus loin, en réinjectant par la suite les fonds obtenus par cette méthode, dans une nouvelle société récemment constituée.
Après plusieurs années d’incertitude, le Service des Décisions Anticipées (SDA), compétent pour traiter de demandes relatives à l’application des lois d’impôt, s’est finalement prononcé sur la question. Ainsi, le SDA considère qu’une telle pratique ne serait constitutive d’abus fiscal que si elle avait pour conséquence de violer sciemment une disposition fiscale. Or ce n’est pas le cas de cette pratique, puisqu’elle va dans le sens des objectifs du régime des réserves de liquidation.
Tout ceci doit cependant être nuancé, car suivant les circonstances, il pourrait effectivement y avoir abus fiscal. L’on pense notamment à l’exemple de la société qui est liquidée et dont les bénéfices, distribués via le régime avantageux des réserves de liquidation, est réinvesti par la suite dans une nouvelle société exerçant les mêmes activités que celle liquidée. À ce sujet, le SDA a bel et bien confirmé l’existence d’un abus.
Terminons sur un point lié à l’accord du nouveau gouvernement fédéral récemment formé en Belgique, qui prévoit une modification de ce régime des réserves de liquidation. La modification impacterait à la fois le pourcentage de prélèvement, dont le total passerait à 15 %, mais également le délai endéans lequel les réserves pourront être distribuées tout en bénéficiant de ce régime de faveur, en le faisant passer à 3 ans.
Nul doute qu’il faudra à l’avenir rester attentif aux évolutions que subiront les règles fiscales liées à la gestion des sociétés en Belgique.
Charles GERARD – Juriste et fiscaliste chez Pareto SA
Article rédigé le 3 avril 2025